CHAPITRE X

 

 

 

An’desha n’était peut-être pas la moitié du mage qu’avait été Fléaufaucon, mais il savait reconnaître un empathe quand il en voyait un. Et le Héraut qui avançait vers l’ekele, un jeune étranger vêtu de noir sur les talons, en était justement un. Il se souvenait d’avoir vu cette femme, mais pas de son nom. Fléaufaucon aurait adoré mettre la main sur elle ! L’Empathie était le seul don qu’il n’avait pas pu développer, et aucun empathe n’aurait accepté de le servir de son plein gré.

Et il est inutile d’essayer d’asservir un empathe. Ce don ne peut pas être corrompu, même si Fléaufaucon a souvent tenté de le faire.

Encore des amis de Flammechant ? Un instant, l’idée d’une nouvelle invasion le contraria. Il quitta son siège, dans le jardin, et rentra pour les accueillir, déchiré entre le désir d’être poli et l’irritation. Fallait-il vraiment que Flammechant fasse venir d’autres étrangers sans le consulter ?

Mais le Héraut s’éclaira quand elle le vit et avança, suivi par le jeune homme.

— An’desha, dit Talia. (Elle prononçait son nom correctement, ce qui le surprit.) Vous ne me connaissez pas. Je suis une amie d’Elspeth, le Héraut Talia. Elle m’a beaucoup parlé de vous… et pour être honnête, je suis une Empathe, et comme vos boucliers ne sont pas bien en place, j’ai aussi appris ainsi certaines choses sur vous.

An’desha sursauta. Il ne s’était pas rendu compte qu’il projetait ses émotions aussi loin. Quand il pensa à ses sentiments, depuis qu’il était arrivé ici, il rougit. Tension, tristesse, désespoir… Il était navré d’avoir imposé ça à une empathe.

— Elspeth m’a dit que vous passez beaucoup de temps seul, continua-t-elle, et d’après ce que j’ai pu ressentir… eh bien, il me semble que vous apprécieriez un peu de compagnie. Je crois que ce jeune homme et vous avez des choses en commun.

Elle se tourna vers Karal.

— An’desha shena Jor’ethan, je vous présente Karal Austreben, secrétaire de l’ambassadeur de Karse. Karal, voilà An’desha, qui accompagne l’ambassadeur des Frères du Faucon.

An’desha la sentit exercer son don pour l’apaiser. Intrigué, il la laissa faire.

Maintenant qu’elle s’était présentée, il savait qui elle était. Elspeth avait en elle une confiance absolue encore plus grande qu’en Ventnoir. An’desha avait un terrible besoin d’apaisement. La veille, il avait à nouveau essayé de rencontrer des Valdemariens, et subi un autre échec. Et voilà qu’une empathe lui amenait quelqu’un. Il était raisonnable de penser, étant donné son don, qu’ils pourraient s’entendre.

— Je me suis dit que vous deviez au moins vous rencontrer, dit-elle au beau jeune homme aux yeux et aux cheveux noirs. (Elle parlait en articulant avec soin, pour qu’il – et sans doute Karal – la comprenne.) Vous n’avez l’un et l’autre rien de commun avec nous. Même Flammechant s’est mieux adapté à la vie valdemarienne. Je suis navrée d’avoir attendu si longtemps avant de vous présenter – et de me présenter moi-même – mais je voulais m’assurer que vous maîtrisiez assez de vocabulaire valdemarien pour vous comprendre. An’desha éclata de rire.

— Bonne idée. Vous avez raison, je me sens moins à l’aise ici que Flammechant. Mais serais-je capable de m’intégrer quelque part ?

C’était un avertissement. J’espère qu’elle ne s’attend pas à ce que nous devenions amis en un clin d’œil.

— Je l’ignore, An’desha, mais Karal est habitué à la magie, et il ne la craint pas. Donc, il est plus fréquentable pour vous que mes compatriotes. Nombre de… comment dire… personnes réticentes ont peur de vous et de vos pouvoirs. Et celles qui ne le sont pas, ou prétendent ne pas l’être, ont tendance à se montrer trop directes. Non, c’est un euphémisme : ces gens sont odieux. Ils veulent tout savoir, tout de suite. Au moins, la magie n’est une nouveauté pour aucun de vous.

An’desha fronça les sourcils et Karal hocha la tête.

— Ulrich, mon maître, est un mage puissant, en plus d’être un prêtre. Il était de ceux qui invoquaient les démons, avant que Sa Sainteté Solaris, le Fils du Soleil, ne l’interdise.

— Il invoquait les démons ?

An’desha frissonna d’excitation. Talia avait peut-être davantage à l’esprit que la réunion de deux étrangers solitaires. Si quelqu’un pouvait le comprendre, ça devait être une personne familière des démons.

— Il n’a jamais aimé le faire, ajouta Karal. (An’desha sentit qu’il ne disait pas tout.) Moi, je ne possède pas de pouvoir magique à proprement parler. Mais j’ai d’autres talents.

Tant mieux, se dit An’desha. La dernière chose qu’il voulait, c’était un deuxième professeur. Dans cette catégorie, Flammechant lui suffisait !

— Cela cause souvent plus de problèmes que ça n’en résout, dit-il d’un ton hésitant.

Talia les regardait avec un petit sourire.

— Je croirais entendre mon maître ! répondit Karal. Les gens d’ici ne semblent pas comprendre ça. Ils veulent savoir ce que la magie peut faire pour résoudre tel ou tel problème… (Il se tut et haussa les épaules.) Enfin, vous savez.

— Oh, oui ! acquiesça An’desha.

Les coins de sa bouche se soulevèrent, et son cœur s’envola. Talia avait raison. Karal et lui avaient des points communs, même s’ils étaient issus de cultures diamétralement opposées.

Jusqu’à cet instant, An’desha ignorait à quel point il avait besoin d’un ami. Mais une empathe aussi puissante que Talia avait dû le sentir par-delà les émotions obscures engendrées par sa peur de l’avenir. Et elle avait dû capter le même besoin chez Karal, sinon elle ne l’aurait pas amené.

Une bonne chose. Une des premières qui lui soient arrivées depuis qu’il avait atterri ici.

— Je n’ai pas voulu prendre la liberté de trop en dire à Karal à votre sujet, An’desha. Si vous le voulez, expliquez-lui votre situation, et comment vous êtes arrivé ici.

— Je ne parle pas assez couramment votre langue…

Talia ne voulut rien entendre.

— Vous la parlez mieux que vous ne le pensez.

Elle désigna l’ekele, et leva un sourcil interrogateur.

Si Flammechant prenait la liberté d’amener des gens sans lui demander son avis, il pouvait faire de même ! Il les invita à le suivre dans le jardin, et leur expliqua comment ce lieu avait été créé – essentiellement pour gagner du temps, mais aussi pour cerner un peu mieux Karal. Ce qu’il apprit le ravit. Les questions du jeune homme étaient discrètes, pas du tout comme celles des aspirants Hérauts.

Talia partit peu après, les laissant assis près de la cascade. An’desha s’avisa de son absence quand il nota celle de son « sort » d’apaisement. Il doutait que Karal se soit aperçu de quelque chose. Le gazouillis de la cascade créait une atmosphère de paix et d’intimité propice à la conversation.

Karal parla de lui-même et de son pays. An’desha l’écouta, fasciné – et parfois horrifié –, décrire ce que les prêtres de Vkandis avaient fait aux enfants et à leurs ennemis. Même si les récits du novice n’étaient pas comparables aux atrocités commises par Fléaufaucon, An’desha pensa que certains prêtres de Vkandis n’avaient rien à envier à Ancar d’Hardorn – et tout cela sous couvert de la religion. La seule chose qu’ils n’avaient pas faite, c’était drainer leur terre de son énergie pour augmenter leur pouvoir.

Mais avec le temps, ils y seraient peut-être arrivés.

— Tout ça, c’est du passé, maintenant, conclut Karal. Solaris a décidé que les Feux de Purification et l’invocation des démons étaient des blasphèmes. Et nous sommes ici, Ulrich et moi, pour forger une alliance avec un peuple que nous avons combattu pendant des siècles. C’est assez déroutant. J’ai été élevé dans la croyance que les gens de Valdemar, surtout les Hérauts, étaient des créatures maléfiques et dépravées. Et aujourd’hui, je découvre qu’ils sont simplement… des êtres humains. (Il haussa les épaules.) J’ai connu tellement de changements dans ma courte vie, que je me ferai à celui-ci aussi, je suppose. Mais, et vous ?

An’desha chercha les mots justes pour décrire sa situation, et décida de faire simple.

— J’étais un Shin’a’in, dit-il enfin. Il y a plus longtemps que vous ne le pensez… Mon corps est plus vieux qu’il n’en a l’air. J’étais le descendant d’un ancien mage, un Adepte. Un homme diabolique, autant qu’un de vos démons. Grâce à ça, il a pu… (Comment dire ça ?)… me voler mon corps.

— Ah ! fit Karal, hochant la tête. (La première fois qu’An’desha rencontrait quelqu’un qui ne le regardait pas avec des yeux vides.) Nous appelons ça la possession. Les démons ont ce pouvoir : ils peuvent s’approprier le corps d’un être comme si c’était un vêtement. Les Robes Noires l’ont utilisé à mauvais escient.

« Vkandis a également ce pouvoir. Il l’utilise pour parler par la bouche d’un prêtre – ou parfois d’une personne ordinaire – et délivrer une prophétie. On appelle ça la Voix de Flamme. Mais Fléaufaucon devait être un démon puissant pour avoir réussi à vous voler votre corps. Seuls les plus forts et les plus diaboliques ont ce pouvoir. Vous avez eu beaucoup de chance, An’desha. La plupart des gens ne survivent pas quand un démon touche leur âme. Vous devez être très fort aussi.

— Bon sang, vous comprenez ! Même si je ne crois pas que ma survie soit une question de chance…

Pour une fois, il parlait à une personne qui ne le regardait pas comme s’il était à moitié stupide et complètement fou. Les mots « puissant », « démon » et « diabolique » s’appliquaient très bien à Fléaufaucon !

— Il avait volé beaucoup d’autres corps, et je ne suis toujours pas très sûr de savoir comment j’ai survécu. Peut-être parce que je suis un lâche et que je me suis enfui au lieu de le combattre.

— Il était peut-être devenu négligent, suggéra Karal. Les démons sont connus pour leur fierté démesurée, et elle les pousse souvent à commettre des erreurs. Il a volé votre corps. Et ensuite, que s’est-il passé ?

— Il commit des atrocités et je ne pus pas l’en empêcher. Puis il voulut s’en prendre en même temps à mon peuple, aux Frères du Faucon et aux Valdemariens. Mais il avait été blessé, et ma Déesse m’envoya deux de ses… (Quel mot valdemarien pouvait-il utiliser pour décrire les Avatars ?)… êtres-esprits. Ils m’aidèrent, ainsi qu’une épée appelée « Besoin », Flammechant, Elspeth et Ventnoir. Après un combat serré, Fléaufaucon fut éliminé. Alors, ma Déesse me redonna l’apparence que j’avais quand mon corps m’avait été volé.

Une version extrêmement simplifiée, mais exacte.

Karal se mordillait la lèvre, comme pour retenir des paroles qu’il craignait de regretter.

— La possession est une chose terrible – à l’exception de la Voix de Flamme. Plus terrible encore que vous ne le pensez, et vous avez été réellement possédé.

— Que voulez-vous dire ? demanda An’desha, espérant que Karal pourrait lui apporter des réponses.

— La possession peut blesser celui qui l’a subie, répondit Karal. Elle risque de causer de profondes blessures à l’esprit. Et ces blessures, bien qu’invisibles, sont plus difficiles à guérir que celles du corps. Le mal corrompt, comme le contact de toute mauvaise chose. Il corrode autant que l’acide. Il peut imprimer sa forme dans un esprit.

C’était ce que lui avaient dit les Avatars ! An’desha acquiesça, sans prendre la peine de dissimuler son étonnement. Mais Karal n’avait pas terminé.

— Je ne vous connais pas très bien, An’desha, fit-il, hésitant. Vous n’êtes pas de ma confession et vous ne jurez pas par le Dieu du Soleil. Pourtant, quand la Voix de Flamme a possédé Solaris, Vkandis nous a donné le devoir d’apporter la guérison à ceux qui en ont besoin. « Celui qui fait le bien au nom d’un autre dieu le fait en celui de Vkandis », a-t-Il dit. « Et celui qui fait le mal au nom de Vkandis le fait au nom des démons des enfers. Que les gens de biens se secourent donc les uns les autres et se dispensent de prononcer des Noms. »

Karal inspira profondément. An’desha retint son souffle, très raide, les nerfs à vif.

— Guérir les plaies de l’esprit fait partie de mon apprentissage, continua Karal. Mon maître en sait bien plus que moi. Nombre de gens ont été blessés ainsi par les Robes Noires, et mon maître et d’autres leur ont apporté leur aide.

Il se tut. An’desha hocha la tête, incapable de parler. Karal prit cela pour un encouragement.

— Je crois que vous avez toujours mal et toujours peur. Et je ne peux pas vous voir souffrir sans vous proposer mon assistance. Si vous le voulez, mon maître et moi essayerons de vous aider. (Il sourit timidement, car An’desha ne refusa pas aussitôt son offre.) J’ignore si nous y arriverons, mais nous pouvons essayer. Vous n’aurez pas à vous convertir. Il suffit que vous le vouliez. Et même si nous ne pouvons rien pour vous, peut-être serez-vous enfin sur la voie de la guérison.

Un instant, Karal fut entouré d’un halo doré… comme s’il avait été assis avec le soleil dans le dos. Mais la cascade était dans l’ombre…

An’desha cligna des yeux, conscient qu’il y avait quelque chose de spécial chez ce jeune étranger. Il l’avait senti, mais sans comprendre ce que c’était. Depuis que les Avatars l’avaient effleuré, il était sensible à ceux que les chamanes appelaient « touchés par dieu ». Aucune importance qu’il ne s’agisse pas de la Déesse. Quelque chose, chez Karal, lui rappelait ce qu’il ressentait quand les Avatars étaient avec lui, mais en moins fort. Et maintenant, ce halo venait confirmer ses soupçons. Il avait senti la même lumière chez l’ambassadrice shin’a’in, bien qu’il ait été trop timide pour l’approcher. Elle avait voué sa vie à la Déesse, comme le proclamaient ses vêtements noirs, et il n’avait pas osé aller lui parler – pas après s’être enfui de son clan.

La sensation que Karal faisait naître en lui, il l’éprouvait également en présence d’un Compagnon…

Qui et quoi qu’il puisse être, il n’a pas fait cette proposition pour m’impressionner. Il a les moyens de m’aider. Et Flammechant ne comprend pas quand je lui dis ce qui ne va pas…

S’il reste un peu de Fléaufaucon en moi, Karal et son maître pourront le bannir ! Ses paroles prouvent qu’il comprend les choses terribles qu’on m’a faites et celles que j’ai failli commettre. An’desha rougit et baissa la tête.

— Oui, souffla-t-il. S’il vous plaît. J’ignore pourquoi vous me proposez ça, mais…

Karal lui tapota la main.

— Je l’ai fait parce que c’est mon travail… Oui, je suppose que c’est ça. Je dois le faire, comme un oiseau doit voler. Je crois que je comprends pourquoi le Héraut Talia nous a présentés. Vkandis s’est manifesté à travers elle – elle est prêtresse, alors II peut faire cela, s’il le veut.

— C’est possible, commença An’desha. (Après tout ce que j’ai vu, comment dire ce qu’un dieu peut ou ne peut pas faire.) Et…

Les cloches du Collegium retentirent par-dessus les murmures de la cascade. Karal compta le nombre de coups et dit quelque chose qu’An’desha ne comprit pas – même s’il saisit parfaitement son ton ennuyé.

Le jeune Karsite haussa les épaules.

— Je dois accompagner mon maître à une réunion du Conseil. J’aimerais mieux n’avoir pas à faire ça aujourd’hui, mais je n’ai pas le choix.

— Je comprends, répondit An’desha. Les membres du Conseil se fichent des besoins de gens tels que vous et moi.

— Les pauvres sous-fifres doivent danser au rythme des cloches. (Le sourire de Karal adoucit l’amertume de ses paroles.) Je reviendrai, je vous le promets. Mais pas sans vous avoir prévenu, si cela vous convient ?

— Oh oui ! Comment vous remercier, Karal ? An’desha le raccompagna à la porte et le regarda partir en courant. Karal se retourna pour lui faire au revoir, puis disparut entre les arbres.

Voilà bien longtemps qu’An’desha n’avait pas eu le cœur si léger.

J’ai un ami. Et il y avait une autre chose, insignifiante à côté de la lumière que Karal lui avait offerte, mais réconfortante à sa manière. Je ne le désire pas, excepté en tant qu’ami. Il avait craint que son désir pour Flammechant vienne de ce que Fléaufaucon avait fait à son esprit. Mais maintenant qu’il y pensait, il avait trouvé Talia attirante... et Elspeth aussi, bien qu’elle l’intimidât.

Ce que je ressens pour Flammechant n’est pas l’œuvre de Fléaufaucon.

Oui, en un sens, c’était très réconfortant.

Karal courait vers le Palais, le cœur et les pieds aussi forts et légers que le héros Gregori en redescendant de la Montagne de Glace. Il s’était un peu méfié du jeune homme aux cheveux blancs et aux yeux gris-bleu. Constater qu’il s’habillait de façon bien plus conservatrice que son ami Flammechant l’avait soulagé.

Puis, alors qu’ils parlaient, quelque chose s’était produit.

Il s’était surpris à apprécier ce jeune homme si différent de tous ceux qu’il avait rencontrés. Ça ressemblait un peu à ce qu’il avait ressenti avec Rubrik, tout en étant différent. Il avait de l’admiration pour leur guide, mais trop d’années les séparaient pour qu’ils deviennent amis. Avec An’desha… Tandis qu’ils parlaient, il avait compris qu’ils avaient beaucoup de points communs : ils aimaient tous deux étudier et adoraient le même genre de musique. Mais il y avait plus que cela, même s’il n’avait pas compris tout de suite ce que c’était.

Puis An’desha lui avait avoué qu’il avait été possédé… et il avait eu son explication.

Ulrich le lui avait dit, comme ses autres professeurs : le jour où il croiserait une âme qui avait besoin de son aide, il se sentirait forcé de lui répondre. Il appartenait à la Famille de Vkandis, et le dieu le guiderait vers ceux qui souffrent. Aujourd’hui, il comprenait le sens de leurs paroles.

Si je suis incapable de l’aider, Ulrich le pourra. Je sais maintenant ce que ressent un Prêtre-Guérisseur quand quelqu’un est blessé ou malade, même s’il ne le voit pas. Oui, nous pouvons l’aider et nous le ferons !

Il quitta le couvert des arbres et continua à courir vers le Palais. Heureusement, il avait entendu la cloche qui lui laissait une demi-heure de marge avant le début de la réunion. Il lui faudrait un quart d’heure pour gagner sa suite et réunir ses affaires. Cela devrait lui laisser le temps de souffler, afin de ne pas faire une entrée indigne de son rang.

Ulrich préfère à toutes autres la magie qui guérit les âmes blessées. Il me l’a dit bien souvent. Vkandis s’est manifesté à travers le Héraut Talia, aujourd’hui, en nous présentant.

Il y avait un échalier sur la barrière qui entourait le Champ. Il passa par là, plutôt que par la porte, plus éloignée du Palais. Il sauta comme s’il voulait voler et se remit à courir dès que ses pieds touchèrent le sol. Quelques jeunes gens habillés de gris le regardèrent passer, sans doute parce qu’ils ne l’avaient jamais vu. Karal s’arrêta le temps que le garde lui ouvre la porte, puis reprit sa course. Quelques instants plus tard, il déboula dans leur suite, s’attendant à y voir Ulrich.

Il fut un peu déçu de la trouver déserte. Mais puisqu’il devait attendre la fin de la réunion pour parler d’An’desha, il rongerait son frein.

Le travail d’abord. An’desha a attendu longtemps, alors qu’est-ce que quelques heures, voire quelques jours de plus ? Patience. N’est-ce pas ce qu’Ulrich me dit toujours ?

Ayant un peu plus de temps que prévu, il retira sa tunique et en mit une autre, plus présentable. Puis il prit son matériel d’écriture et gagna la salle du Conseil, inspirant profondément pour calmer son cœur emballé et ne pas paraître avoir couru.

Les apparences. Un ambassadeur ne doit jamais oublier les apparences.

Il était allé plusieurs fois dans la salle du Conseil, mais n’avait jamais assisté à une réunion où se trouvaient tous les ambassadeurs étrangers. Cela signifiait qu’un des griffons serait présent.

Il ne les avait pas revus depuis la présentation officielle, mais il soupçonnait Ulrich de s’être entretenu plusieurs fois avec le mâle, Treyvan. Un frisson d’excitation courut le long de son échine à l’idée d’être dans la même pièce qu’eux. Il n’y avait pas de créature magique à Karse – à l’exception des Chats de Feu, et les qualifier de « magiques » semblait blasphématoire. Gregori avait débarrassé le pays des derniers dragons des glaces. Bien qu’il y ait un crâne de basilic au Temple, on n’en avait pas vu de vivant depuis bien longtemps avant la première escarmouche contre Valdemar.

Les dragons des glaces et les basilics sont des créatures mauvaises, tout le contraire de Treyvan et de sa compagne. Les griffons sont cités dans les Ecrits, parmi les créatures aimées de Vkandis. Il y est dit qu’ils sont spéciaux et qu’ils ont « été créés sans la moindre méchanceté ». Personne n’a jamais su m’expliquer ce que ça veut dire, mais peut-être le découvrirai-je bientôt.

A part ça, il avait une autre excellente raison d’assister à cette réunion, et ça n’avait rien à voir avec son rôle de secrétaire. Je pourrai étudier Flammechant. Si je dois aider An’desha, il faut en savoir un peu plus sur celui « avec » qui il est.

Karal atteignit les portes de la salle du Conseil et découvrit qu’il était arrivé le premier. Il n’y avait que les deux gardes et le page de service.

Il aurait l’occasion d’impressionner son maître et de prouver aux autres la diligence des Karsites. Il était toujours bon de se montrer sous une lumière favorable.

Il demanda au page de lui indiquer la place d’Ulrich et prit le siège plus petit, à côté. Puis il ouvrit sa sacoche, sortit son matériel d’écriture, tailla sa plume et vérifia que l’encre était bien mélangée… Bref, il se prépara de manière à n’avoir pas à le faire au début de la réunion.

Alors qu’il terminait, les autres arrivèrent. Il reconnut tous les conseillers, même si aucun ne fit attention à lui. Les deux griffons arrivèrent, entourant Flammechant, et prirent place derrière lui, puisqu’ils ne pouvaient logiquement pas tenir à la table.

L’ambassadrice shin’a’in entra en compagnie d’Ulrich.

Eh bien, ça c’était intéressant. Ulrich avait-il eu une conversation privée avec elle ? A les voir, cela semblait le cas. Mais le siège de la Shin’a’in était à une extrémité de la table en forme de fer à cheval, et celui d’Ulrich à l’autre.

Ah, je vois… nous sommes placés en fonction de la situation géographique des pays que nous représentons. C’est utile et très pratique…

Ulrich s’assit à côté de Karal avec un sourire approbateur. Le novice n’était pas le seul secrétaire présent, mais indéniablement le mieux organisé. Les autres sortaient leur matériel en essayant de ne pas déranger. Sans grand succès.

L’ambassadeur de Rethwellan était censé prendre place à côté d’Ulrich. A l’étonnement de Karal, ce fut le prince Daren qui s’assit là, accompagné par son secrétaire, un jeune homme vêtu de bleu.

Le prince consort compte agir en qualité d’ambassadeur de Rethwellan. N’est-ce pas un peu irrégulier ? Mais personne ne souleva d’objection. Seule l’ambassadrice des Shin’a’in haussa un sourcil. Après tout, Daren avait été le seigneur de la guerre de son frère. Il devait pouvoir parler des affaires militaires de Rethwellan. Peut-être était-il même le meilleur choix en la matière.

La reine arriva assez discrètement. Talia vint prendre place à côté d’elle, sur le siège que Karal avait cru réservé au prince consort.

Apparemment non… Il étudia le Héraut de la Reine, se demandant quelle était exactement sa position. Elle était une sorte de conseillère, mais que faisait-elle ? Il va falloir que je me renseigne très vite. Les Valdemariens étaient si surprenants qu’ils lui diraient peut-être la vérité !

Quand tout le monde fut installé, et que les secrétaires eurent sorti leur matériel, la reine se leva. Selenay ne portait qu’un simple bandeau en or et sa tenue était une version raffinée de l’uniforme des Hérauts. Karal trouva cela fascinant, car Solaris faisait de même, arborant uniquement la Couronne de la Prophétie quand la Voix allait la posséder. Le seul symbole de son office qu’elle gardait toujours sur elle était le pectoral en forme de disque solaire, aussi ancien que Karse. Ses robes étaient les mêmes que celles des autres prêtres, dans un matériau plus doux et à la trame plus serrée. Cela la rendait plus abordable que ses prédécesseurs. Avait-elle suivi l’exemple de la reine de Valdemar ou cette idée lui était-elle venue d’elle-même ?

— Les forces de l’Empire Oriental sont pour le moment arrêtées en Hardorn, dit la reine dès que le silence se fit. (Bizarrement, elle semblait très calme. Karal en prit note ; les impressions étaient souvent utiles.) Nous en avons profité pour récolter des informations, et nous avons réuni ce Conseil pour les présenter à tous nos alliés. Je n’en ai moi-même pas encore pris connaissance.

Elle n’utilise pas le pluriel royal… Quand elle dit « nous » devant ce Conseil, elle parle d’autres personnes en plus d’elle-même.’

Egalement bon à savoir…

Sur ces mots, elle se rassit et fit signe au premier orateur de prendre la parole.

Karal prit beaucoup de notes. L’intervenant fit un rapport sur l’étendue des territoires annexés par l’Empire, et sur la situation du gouvernement dans la partie d’Hardorn toujours tenue par les loyalistes.

Les nouvelles n’étaient pas bonnes. L’Empire avait pris la moitié d’Hardorn, non sans une certaine résistance. Mais même si elle semblait plus organisée de jour en jour, nul ne savait si elle réussirait à arrêter l’Empire avant qu’il n’atteigne la frontière valdemarienne.

— Le gouvernement actuel est un Conseil Spécial, lut le clerc, alors que Karal se demandait qui avait été assez intrépide pour obtenir cette information – car il ne s’agissait pas d’ouï-dire. Trente nobles ont survécu, ainsi que les chefs des Guildes, et un homme qui prétend être le porte-parole des mages survivants. Ceux qui ont vu ce Conseil Spécial en action le trouvent désorganisé et démoralisé. Aucun chef n’a encore émergé.

L’homme présenta ses documents à la reine, s’inclina et sortit. Selenay les accepta en regardant Ulrich, et attendit que le clerc soit parti pour demander :

— Seigneur Ulrich, Sa Sainteté s’intéresse-t-elle à ce drame tant qu’il reste confiné de l’autre côté de ses frontières ?

Karal s’attendait à ce qu’Ulrich ne réponde pas à la question.

— Je mentirais, et nous le savons tous deux, si je disais que cette crise n’est pas très tentante pour nous, Votre Majesté. Les conseillers séculiers de Sa Sainteté lui ont suggéré d’annexer une partie d’Hardorn pendant que la situation y est si instable. Ce serait chose faite… si nous n’avions pas rencontré un obstacle insurmontable. (Il fronça les sourcils.) La Voix de Flamme s’est exprimée par la bouche de Sa Sainteté et a exprimé sa Volonté de manière très explicite, en public, puis en privé, à Solaris, au cours de ses méditations. Vkandis n’approuve pas l’idée d’agrandir Karse et fera connaître son déplaisir à ceux qui oseront braver sa Volonté Sacrée. Puisque son déplaisir est généralement fatal, plus personne n’a parlé d’annexion.

Un des conseillers valdemariens ricana. Mais ce ne fut pas Ulrich qui lui répondit.

— Je vous assure, mon seigneur, que même si aucun dieu ne manifeste jamais sa colère à Valdemar, dit l’ambassadrice shin’a’in, d’une voix glaciale, nous qui vivons hors de vos frontières, nous sommes habitués à écouter nos dieux et à leur obéir. Ce n’est pas seulement une question de foi, mais de faits.

Le conseiller rougit jusqu’aux oreilles et marmonna des excuses. Ulrich s’inclina légèrement pour les accepter.

Puis la reine reprit la parole.

— C’est tout aussi tentant pour Valdemar, dit-elle gravement. Nous sommes envahis par les réfugiés hardorniens. Il serait très pratique pour nous de les renvoyer chez eux, sous notre supervision. En les faisant accompagner par des conseillers militaires, peut-être ?

Le conseiller de l’est demanda la parole.

— Nous les avons encouragés à retourner en Hardorn, mais ils refusent, car nous ne pouvons leur promettre aucune aide une fois de l’autre côté. Ancar a drainé toute l’énergie de sa terre. Les temps seraient durs pour eux, sans parler de l’armée d’occupation de l’Empire. Ils ne peuvent rien sans une aide substantielle.

— Mais si nous leur offrons de l’aide, nous ouvrirons la porte à toutes sortes d’ennuis, intervint le seigneur marshal. Pour le moment, Hardorn sert toujours de tampon entre l’Empire et nous, et l’empereur ne semble pas pressé de prendre le reste du pays. Mais si nous offrions notre aide aux Hardorniens, et si l’empereur décidait de prendre ça comme une agression, il pourrait accélérer les choses. Et pour être franc, il peut déplacer ses troupes plus vite que nous. Par conséquent, je déconseille une intervention, quelle qu’elle soit. Je suis peut-être un soldat, mais je reconnais les faits. Primo, nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour prendre l’Empire. Secundo, nous ne pouvons pas nous permettre de nous le mettre à dos. Nous n’avons pas le choix.

— Que fait l’Empire ? demanda le prince Daren. Pour toute réponse, Selenay invita Kerowyn à prendre la parole.

— J’ai ici un rapport à ce sujet, dit-elle. En substance, les soldats de l’Empire ont cessé d’avancer. Mes agents disent qu’ils ont un nouveau commandant, directement responsable devant Charliss. Il semble avoir imposé une halte afin de mettre en place une infrastructure derrière ses lignes. Combien de temps cela lui prendra-t-il ? Je l’ignore ! Ils ont plus de ressources que nous, et des personnes dans leur situation peuvent faire beaucoup et vite, à moins d’une catastrophe naturelle ou d’une intervention divine.

— Je vois, acquiesça le prince Daren. Et ensuite ?

— Quand ce sera en place, continua Kerowyn, il ordonnera à ses hommes de marcher, puis de s’arrêter, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il tienne le pays tout entier. D’après moi, il s’en tiendra à cette tactique tant qu’il ne rencontrera pas ou peu de résistance organisée.

— Que fera-t-il quand il atteindra la frontière avec Valdemar ou Karse ? demanda la représentante de la Guilde, dame Cathan.

Kerowyn haussa les épaules.

— Il a une armée si puissante… Si j’étais à sa place, je continuerais aussi longtemps que mes pertes sont acceptables. Et ne me demandez pas ce que sont des « pertes acceptables » pour lui. A ses yeux, la population de tous nos pays pourrait représenter moins d’une garnison régionale. J’ignore ce qui est « acceptable », parce qu’il n’a pas encore vraiment subi de perte. Et je n’ai pas encore pu voir les conditions qui poussent ses commandants à la retraite. Pour Ancar, toutes les pertes étaient acceptables aussi longtemps qu’il gagnait du terrain. Nous sommes plus enclins à nous retirer qu’à sacrifier des vies. Le chef impérial doit se situer entre ces deux positions. A mon avis, ces « pertes acceptables » représentent un certain pourcentage de ses troupes plutôt qu’un chiffre défini. Or, un pour cent de ses troupes représente bien plus d’homme qu’un pour cent des nôtres.

— Et notre royaume est épuisé après la guerre contre Ancar, souligna le seigneur marshal. Nous pourrions organiser une certaine résistance, mais ça ne suffirait pas à décourager l’armée de l’Empire.

— Karse n’est pas en meilleure posture, même si nous avons subi moins de dommages directs, avoua Ulrich. Indirectement, nous avons perdu des hommes face aux troupes d’Ancar, plus certains des mages que nous vous avons envoyés.

— En parlant de mages, reprit Kerowyn, ceux de l’Empire semblent faire les choses différemment des nôtres. Beaucoup d’entre vous ont entendu Elspeth décrire la façon dont l’ambassadeur impérial en Hardorn a créé un Portail sans équivalent physique. Cette nouvelle a laissé nos mages bouche bée. Peut-être ceux des Impériaux sont-ils meilleurs que les nôtres et peut-être pas. Aucune importance ! Ils sont différents, voilà où est le problème. Car ils pourraient nous frapper avec une arme que nous n’imaginons pas, même si nous avions un siècle pour nous préparer.

— L’Empire compte bien plus de mages que l’Alliance, ajouta Flammechant. C’est un fait. Le Héraut Kerowyn m’a demandé de regarder la partie de son rapport qui concerne la magie. Il m’est apparu qu’une grande partie de l’infrastructure de l’Empire repose sur les mages. D’après ce que j’ai lu, ils servent à la communication, au transport et à la construction, ce qui rend les moyens de ravitaillements de l’Empire très différents des nôtres. L’armée d’Hardorn est ravitaillée par le biais de Portails. Alors, si ces gens peuvent gaspiller autant d’énergie à ça, quel genre d’offensives magiques peuvent-ils lancer ?

— Je préfère ne pas y penser, marmonna quelqu’un dans le silence qui suivit les paroles de Flammechant.

Kerowyn est un bon commandant, qui ne se cache pas de la vérité, même déplaisante, décida Karal, qui écrivit cette remarque. Elle a le don de dire sans détour les choses que les autres préfèrent ne pas envisager.

Le seigneur Patriarche s’éclaircit la gorge.

— Bien, fit-il d’une voix un peu tremblante. Que proposez-vous ? Je commence à penser que prier est la seule chose qui nous reste à faire !

L’ambassadrice shin’a’in regarda Flammechant, qui hocha la tête, lui laissant la parole. Elle se leva, prit un pointeur et se dirigea vers la carte.

— Les Shin’a’in et les Tayledras ont accepté d’établir une chaîne défensive à l’ouest, dit-elle, traçant une ligne qui partait du rivage sud du lac Evendim et allait jusqu’aux Plaines de Dhorisha. Nous tiendrons une voie de retraite ouverte à tout instant, comme nous l’avons fait pendant la guerre contre Ancar. Nous pouvons également recevoir les réfugiés hardomiens qui voudraient tenter leur chance dans l’ouest, et réduire ainsi la pression sur les ressources de Valdemar.

Elle se rassit et Flammechant continua :

— Je dois vous avouer que nos peuples ne vous seront d’aucun secours. Les Shin’a’in sont d’excellents combattants solitaires, mais ils n’ont pas de force structurée. Les gardiens tayledras sont un peu mieux organisés, mais en petites unités. Nous pouvons offrir un refuge, notre soutien, mais militairement parlant… nous ne vous serons pas utiles.

— Et au sujet des mages ? demanda dame Cathan.

— Les mages…, répéta l’Adepte. Tout d’abord, les Shin’a’in n’en ont pas. Mais les Kaled’a’in – une tribu qui descend du peuple que les Shin’a’in et nous formions à l’origine – pratiquent la magie, et la Déesse leur a permis de l’utiliser ici, n’est-ce pas ?

Il s’adressait à Treyvan, qui gloussa bizarrement.

— Je dirais plutôt qu’Elle nous a donné nos ordres de marche, répondit le griffon avec un regard en coin au conseiller qui avait exprimé des doutes sur les pouvoirs de Vkandis. Comme quelqu’un l’a fait remarquer, certains d’entre nous ont l’habitude d’écouter leurs dieux.

— Ça nous fait au moins un groupe… Mais je dois admettre que je ne sais pas de quoi ces gens sont capables. Ils ont été séparés de nous très longtemps et continuent d’utiliser des connaissances que nous croyions perdues. Les Tayledras sont prêts à faire venir leurs mages ici. Nous ne mettrons pas nos Vallées en danger, mais de nombreux projets peuvent attendre.

— Les Vents Blancs, la Montagne Bleue et les autres écoles que nous contacterons feront de même, dit le représentant des Vents Blancs.

Quenten, je crois. C’est un ami de Kerowyn. Karal nota qu’ils avaient le même âge.

— Si l’Empire avance trop vers l’ouest, les mages indépendants ne pourront pas regarder sans rien faire. L’empereur nous annexera ou nous détruira. Ça a toujours été la tactique des Impériaux par le passé, et c’est ce qu’ils font aujourd’hui en Hardorn. Flammechant hocha la tête.

— J’ai dit que nous ne pourrions jamais égaler le nombre de mages de l’Empire… et je le maintiens. Néanmoins, pratiquer une magie différente peut jouer en leur défaveur. Si nous ignorons de quoi ils sont capables, l’inverse est vrai aussi. Pour le moment, la meilleure chose à faire, c’est apprendre tout ce que nous pourrons sur l’Empire et ses mages.

— C’est vrai, et nous y travaillons, répondit Kerowyn, mais n’oublions pas que les Impériaux feront la même chose de leur côté.

Karal prenait des notes tout en s’efforçant de ne pas regarder, bouche bée, les participants de cette réunion. Flammechant était aussi flamboyant que lors de leur première rencontre. Cette fois, il avait choisi un costume écarlate avec des touches de bleu. L’ambassadrice shin’a’in était exotique dans un autre genre, aussi silencieuse et mortelle que l’une de ses flèches.

Et les griffons… Cette fois encore, il était surpris d’entendre des phrases intelligentes et intelligibles jaillir de leur bec. S’il n’avait pas vu Hansa converser avec Solaris, il aurait été plus que surpris... et enclin à soupçonner quelque tour.

Quand Ulrich se leva, tous le regardèrent.

— Je suis d’accord avec la capitaine, dit-il. Mais il y a un autre facteur important. L’Empire est immense, très ancien, et il n’a rencontré aucune opposition sérieuse depuis longtemps. Les Impériaux doivent être habitués à ces conditions favorables. Donc, ils pourraient bien nous considérer comme des « barbares » sans importance et négliger de rassembler trop d’informations sur nous.

« Bien sûr, nous ne pouvons pas compter là-dessus, ajouta-t-il quand Kerowyn sembla vouloir protester contre une telle arrogance. Mais nous devrions être attentifs à toute indication allant dans ce sens. Je crois que nous devrions leur laisser croire que nous sommes aussi désorganisés de ce côté de la frontière que les pauvres Hardorniens, et paralysés de terreur. Ainsi, s’ils devenaient trop sûrs d’eux, nous pourrions en profiter.

Kerowyn sourit et s’inclina devant Ulrich. Il lui retourna son petit salut ironique et reprit son siège.

— Qu’en est-il des mages de Valdemar ? demanda le prince Daren.

Ce fut au tour d’Elspeth de se lever.

— La réponse est évidente. La première option, c’est d’en former autant et aussi vite que nous le pouvons… Ce que nous faisons déjà. La seconde, c’est de faire appel à autant de mages indépendants que possible, comme pendant la guerre contre Ancar. Le problème, c’est qu’en dehors de ceux des Kaled’a’in, des Tayledras et des écoles que Quenten connaît, il faudra envisager que des espions impériaux se glissent parmi eux. La plupart des mages pour lesquels il est prêt à se porter garant sont déjà ici. Ça nous laisse la première option. Nous formons nos mages… mais ils ne sont pas très nombreux.

— Attendez une minute ! coupa Kerowyn, l’air concentré. Je viens de penser à quelque chose. Pourquoi courir après des mages ?

— Mais… ! s’écria quelqu’un.

Ce fut le début d’un tonnerre de protestations. Elle les balaya d’un revers de la main.

— Non, je suis sérieuse. Qui nous a mis dans la tête l’idée que les mages sont la solution à tout ?

Elle a lâché un renard dans le poulailler…

Un silence stupéfait suivit la question de Kerowyn. Il dura jusqu’à ce qu’elle le rompe elle-même.

— Oui, nous avions désespérément besoin de mages quand nous combattions Ancar, parce qu’il était capable de créer des monstres que nous ne pouvions pas combattre. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. (Une nouvelle vague de protestation déferla.) Attendez, écoutez-moi !

La reine en personne ordonna le silence quand il devint évident que Kerowyn ne l’obtiendrait pas. D’après les regards paniques, elle allait devoir expliquer son point de vue avec habileté si elle ne voulait pas déclencher un tollé général.

— Ecoutez, reprit Kerowyn, se penchant sur la table pour souligner ses paroles. Valdemar et Karse ont chacune une caractéristique à laquelle l’Empire n’est pas préparé. A Karse, il s’agit d’une chose à laquelle nous ne sommes pas préparés ! Le Dieu du Soleil Vkandis peut intervenir dans la vie de ses fidèles, et il le fait. Pour autant que je sache, si l’Empire décidait de passer la frontière karsite, il pourrait lancer des boules de feu sur ses généraux !

— Il faudrait sans doute plus qu’une armée d’invasion pour le pousser à ça, murmura Ulrich. Mais il est possible qu’il décide d’intervenir.

— Des miracles se produisent régulièrement, à Karse, rappela Kerowyn.

Le prêtre eut un petit sourire.

— Cela devrait rendre les choses difficiles, sinon impossibles, à l’Empire, de ce côté-là, dit Kero. Et je parie que votre Vkandis abreuve Solaris d’informations meilleures que celles de mes agents. Eh bien, j’ai une bonne nouvelle pour vous et votre peuple. D’après ce qu’ont pu déterminer mes espions, les habitants de l’Empire pratiquent une religion d’Etat qui vénère l’empereur et ses prédécesseurs. Je suis sûr que ça comble Charliss, mais je n’ai aucune preuve qu’il soit davantage qu’un Adepte. Donc, s’il décidait de lâcher quelques éclairs, le Dieu du Soleil ne combattrait pas un autre dieu.

Karal prit des notes à la vitesse de l’éclair.

— Ah ! fit Ulrich. Voilà qui renforce la possibilité d’une intervention divine, au moins à l’intérieur de nos frontières.

— C’est ce que je pensais, triompha Kerowyn avec un grand sourire. Reprenons. A Valdemar, la caractéristique à laquelle l’Empire n’est pas préparé, ce sont les Hérauts et les Compagnons. Chez nous, la magie de l’esprit est devenue un art. Je doute qu’il y ait un seul endroit au nord de Ceejay où les gens l’utilisent si… scientifiquement. D’ailleurs, je ne suis pas sûre qu’il en existe au sud de Ceejay !

Quenten haussa les épaules.

— Pas que je sache.

— C’est bien ce que je pensais ! Depuis l’époque de Vanyel, nous nous sommes débrouillés sans magie. Nous avons trouvé des solutions naturelles à nos problèmes. Les Impériaux dépendent de la magie… Vous avez tous entendu le rapport. Ils font grâce à elle des choses dont nous pouvons seulement rêver. Mais ça les rend vulnérables, s’ils comptent que nous les imitions et planifient leur attaque en conséquence.

Flammechant acquiesça vigoureusement, Ulrich approuva avec prudence, et Elspeth eut l’air songeur.

— Ça semble un bon début, dit-elle.

— Cette fois, nous détenons une arme que nous n’avions pas avant de combattre Ancar : du temps. Pendant que nos ennemis avalent Hardorn une bouchée après l’autre… (Kerowyn haussa les épaules.) Ça peut vous paraître sans cœur, mais pour le moment, je déconseille toute aide aux Hardorniens.

« Je recommande que nous étudiions l’Empire. Essayons de lui faire des ouvertures diplomatiques pour gagner du temps et tentons de trouver un moyen de combattre sa magie sans avoir à utiliser la nôtre… Mais en utilisant la magie de l’esprit ! Nous savons nous en servir en toute confiance, et nos ennemis ne s’y attendent pas.

D’autres conseillers se rallièrent à Kero. Karal réussit à compléter ses notes pendant un court silence. Il était très content de ses leçons avec Alberich. Sans elles, il aurait été perdu depuis bien longtemps.

Le prince Daren se leva.

— L’Empire a attendu des décennies – peut-être plus – avant de se lancer à la conquête d’Hardorn, dit-il. Les Impériaux ont attaqué quand ils ont su pouvoir le faire en rencontrant un minimum de résistance. Nous savons qu’ils avaient un agent à la cour… Mieux vaut supposer qu’ils en ont toujours eu. Si nous réussissons à les convaincre que nous attaquer leur coûterait trop cher, peut-être y renonceront-ils.

— Espérons-le, dit Selenay. Nous pouvons essayer de les convaincre de ça. Mais pas prendre le risque de présumer que ça marchera.

— Je suis d’accord, gronda le seigneur marshal.

Après cela, malgré quelques commentaires pertinents, le débat s’essouffla. Quand les conseillers commencèrent à se répéter, Selenay mit un terme à la réunion.

Ce n’était pas trop tôt ! Karal avait des crampes.

Et rien de tout cela n’avait chassé An’desha de son esprit. Il avait hâte de parler de lui à Ulrich et de connaître l’avis de son maître.

— Tu es très silencieux, ce soir, dit Flammechant, alors qu’An’desha fixait les reflets de la lampe dans la cascade. Ça ne va pas ?

— Je suis fatigué, c’est tout. J’ai travaillé dans le jardin, et j’ai fait jusqu’à l’épuisement les exercices magiques que tu m’as enseignés.

Flammechant eut l’air ravi et An’desha se détendit. Il avait décidé de garder secrète son amitié avec le Karsite, pour le moment, car il ne savait pas comment réagirait Flammechant. L’Adepte l’avait encouragé à être plus sociable, mais il ignorait ce qu’il ferait s’il savait qu’il s’était fait un ami, un seul, et de sexe masculin.

Flammechant pouvait croire que son amitié pour Karal était basée sur une attirance sexuelle, pas intellectuelle. Et qu’ils deviendraient très vite amants.

Non, mieux valait ne pas parler de sa rencontre avec Karal… jusqu’à ce que le Karsite le présente à son maître. Alors, il pourrait le dire à Flammechant.

Bizarrement, il ne sauterait pas à cette conclusion si mon amie était de sexe féminin. Alors qu’il serait bien plus probable que je le… hum… trompe avec une femme qu’avec un autre homme.

— As-tu encore eu une autre prémonition de malheur ? plaisanta Flammechant. Ça pourrait nous être utile, car les mages de l’Empire…

Une autre prémonition de malheur…

An’desha haleta quand le sol sembla se dérober sous lui. La voix de Flammechant se perdit dans un rugissement. Il voulut s’agripper à la roche, mais ses doigts n’obéirent pas. L’obscurité l’assaillit... puis la lumière l’aveugla.

L’obscurité revint, peuplée par les serpents rouges qui se tortillaient dans le champ de vision d’An’desha chaque fois qu’il était ébloui.

Il voulut hurler. En vain.

Alors il vit la lumière, en cercles concentriques. On aurait presque dit qu’une entité invisible l’avait attrapé et le secouait, comme les jeunes filles qui agitaient leurs foulards dans la Danse de l’Oiseau de Pluie. Partout, il sentait une peur terrible, qui le paralysait.

Puis l’obscurité l’enveloppa.

Et de nouveau la lumière, mais moins vive.

Et l’obscurité, encore.

Ce fut fini aussi vite que ça avait commencé. Il se sentit tomber en arrière, toujours sur sa pierre. Flammechant l’avait saisi par les épaules et le regardait dans les yeux.

— Que… ?

— Tu étais en transe, dit Flammechant, lui touchant le front pour vérifier s’il avait de la fièvre. Tu as crié, puis agrippé la pierre… J’ai vu tes yeux, senti le pouvoir autour de toi et ai su que tu étais en transe. Tu avais l’air terrifié.

— Je l’étais. Je le suis toujours. C’était horrible. Pourtant je serais incapable de te décrire le phénomène. La lumière et l’obscurité en vagues successives, la désorientation… L’Adepte fronça les sourcils.

— C’est arrivé quand je t’ai demandé si tu avais eu une autre prémonition. Je doute qu’il s’agisse d’une coïncidence.

An’desha acquiesça. Sa peur et sa tension étaient plus fortes que jamais.

— Je vais te répéter ce qui s’est dit pendant le Conseil, souffla Flammechant. Mornelithe Fléaufaucon n’était pas doué de prescience… Mais tu n’es pas lui, donc il n’y a aucune raison que tu n’aies pas ce pouvoir. D’autant que c’est peut-être Elle qui te l’a donné. Comme on nous l’a rappelé aujourd’hui, il n’y a pas que des mains humaines pour remuer le ragoût dans la casserole.

Je ne suis pas si sûr que ça de ne pas être Fléaufaucon, pensa An’desha.

Mais il écouta Flammechant lui résumer la réunion.

— Mes paroles ont-elles évoqué quelque chose en toi, demanda l’Adepte quand il eut fini.

An’desha secoua la tête.

— Rien, dit-il tristement. Tu aurais tout aussi bien pu me parler des troupeaux.

Flammechant se rembrunit et tira sur une mèche de ses cheveux argentés.

— Je suis perdu, avoua-t-il finalement. Il me semble que notre ennemi est à portée de main… De quoi devrions-nous avoir peur, sinon de l’Empire et de ses mages ? Et pourtant…

— Il ne s’agit pas de l’Empire ! explosa An’desha. J’ai essayé de te le dire ! C’est autre chose, un drame que nous n’attendons pas. Et je crois… (Il déglutit et sentit sa peau devenir froide et humide quand il pensa à ce qu’il devait faire.) Je crois que la clé réside dans les souvenirs que la Bête m’a laissés.

Flammechant tressaillit, puis il posa une main réconfortante sur le poing serré d’An’desha.

— Alors, examinons ces souvenirs, dit-il avec une surprenante gentillesse. Toi et moi. J’ai eu tort de te forcer à emprunter seul ces routes. Mais je pensais que tu y trouverais les réponses à tes peurs.

An’desha le regarda, surpris par son humilité.

— Kerowyn m’a fait comprendre que les mages impériaux sont très différents de tout ce que j’ai rencontré. Je serais probablement incapable de parer leurs attaques. (Un soupçon de l’ancien Flammechant ressurgit.) Au moins la première fois. Dès que j’aurai vu de quoi ils sont capables, je saurai comment m’y prendre.

Mais son arrogance s’évanouit très vite.

— Bien sûr, il leur suffirait de changer de tactique... et Kero a clairement dit que je ne dévierai pas une attaque que je ne peux pas anticiper. (Il pâlit et croisa le regard d’An’desha.) Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas sûr de pouvoir me protéger. C’est assez… déstabilisant. Même manipuler l’énergie d’une Pierre-Cœur sauvage ne m’a pas donné une telle conscience de ma mortalité. Je ne me sens plus si sûr de moi.

Oh, génial ! Et maintenant ?

— Mais si c’est vrai, alors il est possible que certaines choses que j’ai présumées – des choses te concernant – soient fausses. (Il soupira.) Donc, je t’écoute enfin. Et je te demande : que crois-tu que nous – toi et moi ! – puissions faire ?

Fuir ! cria une partie d’An’desha. Mais il déglutit, prit une inspiration pour se calmer et répondit d’une voix un peu tremblante :

— Aide-moi à examiner les souvenirs des vies antérieures de Fléaufaucon. Nous devons retourner plus loin dans le passé que je n’ai osé le faire.

Si les Avatars pouvaient revenir, pensa-t-il, étouffant sa peur quand Flammechant acquiesça. Ils savent ce que je cherche…

Vraiment ?

Ils avaient toujours semblé frustrés de ne pas pouvoir être plus clairs. Peut-être ne savaient-ils pas eux-mêmes ? Ils étaient encore très proches des corps de chair et de sang qu’ils avaient habités. De fait, Aubefeu et Tre’valen n’étaient pas vraiment morts. C’est pour ça qu’ils avaient pu l’aider, si loin des plaines et des collines, hors du territoire de la Déesse.

Ils doivent être retournés où ils pourront faire… ce que font les Avatars. Peut-être aident-ils les Kal’enedral. Je ne crois pas qu’ils aient le pouvoir de m’assister aujourd’hui.

Mais Flammechant… Aussi périlleuse et effrayante que fût pour lui l’évocation de souvenirs de la créature qui avait possédé son corps, An’desha ne voyait aucune autre solution.

— Peut-être devrions-nous commencer dès ce soir ? suggéra-t-il timidement.

— Je crois que ce serait mieux, ke’chara. Avant que nous perdions tout courage.

Le mien s’est déjà envolé, pensa An’desha.

Pourtant, il ne protesta pas quand Flammechant l’aida à se lever et le conduisit dans le cercle protégé par des boucliers, dans le jardin, où il s’exerçait à la magie.

Peut-être… vais-je retrouver un peu de bravoure ?

L'annonce des tempètes
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